Analyse du chapitre 125 par Sumi

Avertissement

Cette analyse relève bien évidemment du spoiler le plus absolu, puisqu'elle a, essentiellement, trait au chapitre 125.

Elle s'adresse aux personnes qui suivent la parution japonaise, et qui ont envie d'aller plus loin dans la compréhension de ce chapitre-clé dans l'histoire de Fruits Basket.

Ceux d'entre vous qui désirent s'en tenir à la publication française auront été prévenus... Spoilers droit devant ! ^^





 

 

 





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Une aile fragile...

L'amour et l'amitié, ou même parfois l'adversité, sont des ailes fragiles ; à nous de savoir attraper ces ailes pour nous envoler loin des ombres du passé... Mais il faut s'envoler avec la légèreté de la conscience, c'est le sens de ce chapitre qui place l'être humain en face de ses responsabilités avant de lui ouvrir la voie du cœur.

Ne le nions pas, ce chapitre 125 cache un message paradoxal sous les amours naissantes de Yuki et de Machi. Pourquoi est-ce que je parle de paradoxe ? Tout simplement parce que ce chapitre souffre, au même titre que les précédents, de légères incohérences psychologiques qui ne seraient pas gênantes si elles ne dissimulaient pas un message pour le moins ambigu.

Que faudrait-il voir dans ce chapitre ? Faudrait-il admirer Yuki qui a réussi envers et contre toutes les épreuves à libérer une maturité évidente au point d'en être fier et de mériter, enfin, d'être aimé et d'aimer ? Tout porte à croire que Natsuki Takaya expédie un peu facilement son scénario et l'évolution psychologique du personnage en dissimulant ce malaise sous la tendresse de ses sentiments.
Même si j'apprécie infiniment le couple formé par Machi et Yuki, même si je suis heureuse de voir sourire le jeune homme et qu'il s'épanouisse enfin, je ne peux pas cautionner l'avancée psychologique qui permet à Yuki de soudainement se donner les ailes du pardon.

Et de fait quel Yuki aime Machi dans ce chapitre ? Je vous invite à relire la jolie déclaration qu'elle lui fait :
« Si vraiment tu as été aussi faible qu'un petit faon, en fin de compte c'est parce que tu as été comme ça que tu as pu remarquer quelqu'un comme moi et que tu m'as parlé, je pense. Vraiment, je suis tellement, tellement heureuse... ».
Machi est tombée amoureuse du Yuki qui se cachait derrière le Prince, celui qu'elle seule savait voir, celui qui doutait, celui qui luttait, celui qui essayait, et c'est précisément cette douce volonté de Yuki et son élégance qui le lui ont rendu ô combien attachant.
Mais voilà, Yuki avoue dans ce chapitre qu'il est fier de s'être bien comporté, de ne pas avoir failli, bref, nous ne retrouvons pas là le garçon qui a des doutes et qui hésite, celui qui est si attachant parce que justement, il refuse de regarder le monde de haut.

Bien sûr, Yuki évolue et il apprend à dépasser ses peurs dans le manga ; mais dépasser ses ombres, est-ce que ça signifie se donner bonne conscience à tout prix ? Non, dans la vie, ne pas être honnête envers soi-même, c'est reculer, c'est s'enfoncer dans l'obscurité, et Yuki n'est pas totalement honnête avec lui-même dans ce chapitre, en particulier lors de sa confession du début. Ou du moins Natsuki Takaya nous donne-t-elle cette impression, parce que le message est à lire entre les lignes, j'y reviendrai.

Dans le chapitre 123, nous avons vu un Yuki cynique se réjouir à l'avance des futures moqueries de Saki et d'Arisa contre Kyo, et de fait, nous avons retrouvé dans le chapitre 124 le même Yuki cynique qui se permettait de rapporter la vie privée de Kyo afin que celui-ci soit une énième fois rejeté.
La moindre des choses, ce serait que Yuki reconnaisse cette part de lui et ne soit pas fier de son comportement des journées passées ; il pourrait se reprocher d'avoir agi ainsi, car cette attitude n'honore en rien le garçon que nous connaissons.

Mais là, que voudrait-on nous faire croire ? Que l'indélicatesse mesquine est louable, qu'elle représente un pas vers la prise de conscience et la maturité, que Yuki fait à ce point preuve de grandeur d'âme dans les chapitres précédents que lui seul puisse trouver le bonheur aussi rapidement ?
C'est cette facilité scénaristique que je trouve décevante, et pour tout dire, inquiétante ; en aucun cas, la bassesse de tels agissements ne saurait être donnée en exemple, surtout que les lecteurs de Fruits Basket sont majoritairement jeunes.
Quand on enseigne à des jeunes, quand on leur apprend à grandir, quand on essaie d'aider des adolescents qui se fraient un chemin vers leur identité, en aucun cas un professeur, un éducateur ou un psychologue n'approuvent ce genre de fierté qui prend sa source dans le mépris. Et ceci est fort logique puisqu'humilier une personne ne fait pas grandir ; ce n'est pas en cautionnant une attitude née de viles pulsions que l'être humain parvient à se donner des ailes.

Or c'est ce qu'on pourrait croire dans ce chapitre si on lit hâtivement les paroles de Yuki ; on pourrait penser que Yuki se félicite d'avoir su faire face aux épreuves avec un sens évident de l'humanité et de la maîtrise de soi. Il suffit de relire les chapitres précédents pour savoir qu'il n'en est rien...
Aussi ne puis-je pas approuver ce discours latent qui consisterait à dire que Yuki a maîtrisé la situation et que Kyo n'a pas su la gérer, et ceci n'est pas de ma part une marque de préférence pour un personnage, mais bien au contraire une manière de dire que Kyo ne mérite pas un tel jugement ô combien faussé si on prend la peine de lire le manga dans son ensemble (et je ferai cette analyse de Kyo dans les mois à venir), mais aussi que Yuki ne mérite pas qu'on s'extasie sur sa soudaine maturité si celle-ci naît de la bassesse.

J'en reparlerai dans l'analyse sur la maturité dans Fruits Basket , mais il serait vain de placer les personnages dans deux camps prédéfinis, un camp de la maturité triomphante où se trouveraient Yuki, Hatori et Momiji et un camp de l'indécision permanente où se trouveraient Shigure, Akki et Kyo.
La malédiction est une secte mentale qui entraîne des conditionnements psychologiques précis, aussi ne rien faire ou adopter une attitude de repli n'est pas forcément la solution la plus pertinente. Dans ce manga, il faut se rebeller avec douceur contre l'ordre établi, il faut accepter l'ombre et faire corps avec elle au point de la dépasser, et c'est d'ailleurs le personnage de Kazuma qui symbolise cette véritable maturité.
Je précise ce point car la mangaka pourrait, faute de temps, nous amener vers des raccourcis scénaristiques faciles qui feraient de Kyo et de Shigure des repentis adorables, ce qu'ils ne sont pas, le manga le prouvant en permanence, notamment dans la plupart des dialogues sur lesquels je reviendrai dans cette analyse.

Aussi essayons de comprendre dans quelle scène Yuki puise sa bien soudaine lucidité... S'il la trouve dans les chapitres précédents, on peut parler de dérive du récit, si elle naît de plus loin et de son attitude responsable face à la tragédie, elle est cohérente.

En effet, considérer que Yuki avance sur une attitude régressive, c'est nier le personnage de Yuki, c'est nier la construction de ce personnage subtil qui lutte, qui peut exploser, mais jamais montrer le visage mesquin qu'il ne tolère pas dans le rat qu'il abrite. Yuki ne peut pas grandir grâce à la vilenie des actes du rat, ce qui grandit Yuki, ce qui fait de lui un personnage riche et touchant, c'est précisément sa capacité à dépasser la médiocrité du monde et à s'élever au-dessus.

Ceci étant posé, je vais néanmoins remarquer avec vous que le commentaire de Yuki sur son évolution s'adresse à son attitude responsable face à la chute de Tohru et non aux événements qui ont suivi le chapitre 122. Je dois remercier Ichi qui m'a permis de comprendre le sens de chaque bulle et ainsi de préciser les propos de Yuki ; le message de celui-ci, qui peut paraître ambigu quand il n'est pas associé à une bulle précise, ne l'est plus véritablement quand on le replace dans le dessin.

En effet, quand Yuki se félicite de ne pas « s'être laissé aller à la panique », c'est à relier à la chute de Tohru et non aux événements des chapitres 123 et 124 ; et de fait, le commentaire de Yuki prend alors tout son sens, puisque le jeune homme a su calmer ses angoisses afin de permettre à Tohru d'être secourue, nous l'avions vu dans l'analyse du chapitre 122.
Quand on voit le moment où Kyo bloque le bras déchaîné de Yuki, il ne s'agit pas pour Yuki de constater sa propre maîtrise, mais d'admettre que l'autre, en l'occurrence Kyo, ne lui a pas renvoyé l'image d'une épreuve, mais bien celle d'un soutien. Et c'est très important dans ce chapitre où Yuki constate qu'il a compté pour les autres, parce qu'il souffre depuis toujours d'être délaissé. Yuki a compté parce que Kyo l'a regardé comme un homme, et ce moment du bras arrêté n'a pas été une épreuve aussi difficile qu'il le croyait... Yuki constate aussi qu'il ne s'est pas enfermé dans le désespoir après le geste solidaire de Kyo.

Yuki a également l'honnêteté de remarquer qu'il a tout de même cédé à la panique, ce qui doit être un moyen rapide trouvé par la mangaka pour expliquer les dérives du rat des chapitres 123 et 124 ; mais il est néanmoins « fier » de ne pas avoir abandonné totalement, nous retrouvons là la lutte menée par Yuki pour conquérir son humanité, lutte que j'explique dans l'analyse du chapitre 124.
D'ailleurs, le rat est encore présent dans ce chapitre, Yuki mordille ainsi son stylo nerveusement, mais surtout, il fait preuve de froideur sur la planche 4 ; toutefois, Yuki a dompté peu à peu la bête qui ressurgit épisodiquement, mais qui va être domestiquée par l'amour au point de ne plus être un rat arrogant, mais un rat qui permet de faire un pas et de se déclarer. Yuki n'a pas terrassé le rat, il l'a apprivoisé, il a libéré le côté du rat qui a soif d'amour ; cette idée peut sembler étonnante, mais je l'expliquerai davantage dans l'analyse sur le désir... En effet, le rat est l'allié de Yuki autant qu'il est son ennemi.

Yuki considère ensuite qu'il ne doit pas son évolution « à sa propre volonté, mais au soutien de quelques personnes »... Ceci me paraît ambigu ; bien évidemment, les dessins nous montrent que ce sont Kyo, Haru, Manabe et, nous le comprendrons après, Tohru et Machi qui ont permis cette évolution de Yuki, et cela insiste bien sur le besoin qu'a eu Yuki, au moment où il luttait contre le rat, de la main de l'autre. Sa propre volonté étant dépassée par le rat, Yuki a eu besoin de Kyo pour le remettre dans le sens de l'humanité, puis de Haru, comme il a eu besoin de Manabe le jour où il s'est confié à lui (le jour où nous avons vu pour la première fois de manière flagrante le nezumi, jour qui est rappelé ici de manière comique par Manabe qui souligne le sens ambigu de la figure maternelle pour Yuki) ou encore comme il a eu besoin de Tohru pour trouver le sens de son existence.
Mais cela ne saurait cacher le fait que Yuki a aussi évolué par lui-même, non pas dans les derniers chapitres, mais tout au long du manga ; si Yuki peut-être fier, ce n'est pas d'avoir frappé Kyo, ce n'est pas de ses blagues douteuses, mais il peut être heureux d'avoir lutté, d'être allé vers les autres, d'avoir accepté de sortir de sa prison de maudit.

Je vais à présent observer avec vous la fort jolie scène qui réunit Yuki et Machi...
Yuki souffre depuis toujours de compter pour « zéro », c'est le complexe du rat, c'est aussi le complexe de Yuki, les deux personnalités se fondant l'une dans l'autre, le rat dompté étant encore là dans ce chapitre dans la façon avec laquelle Yuki aborde Machi, j'y reviendrai dans l'analyse sur le désir.

Mais dans ce chapitre, Yuki libère enfin ses sentiments et permet ainsi à Machi de dévoiler les siens. Je voudrais m'arrêter sur le sens de leurs cadeaux, une peluche de Mogeta et du terreau ; ces cadeaux incongrus pourraient sembler étranges s'ils ne cachaient pas un sens assez fort, puisqu'une peluche se serre contre le cœur, alors que Yuki ne peut pas être serré, et que le terreau annonce la vie en devenir.
Yuki est en train de construire ses racines, Machi est en train d'accepter la douceur...

Sur la planche 22, Machi serre Mogeta contre elle et c'est symbolique, c'est comme si elle serrait Yuki contre son cœur, ce qu'elle ne peut pas encore faire. Cachant ainsi son visage, elle peut avouer ses sentiments à Yuki qui semble les recevoir comme une douce lumière sur la planche 24. Aussi, sur la planche 25, Yuki tend-il la main vers Machi, et ce geste est très fort, car en le faisant, il lie son destin avec celui de la jeune fille ; le couple prend donc naissance sur la planche 25, Yuki relevant la tête de Machi dans un geste aussi tendre que décisif et la jeune fille lui souriant, scellant ainsi son aveu d'amour.

La planche 27 permet à la mangaka de suspendre le temps, le monde tourne autour du couple qui semble désormais seul parmi la foule, l'éternité de leurs cœurs s'ouvrant à eux.
Pour introduire Ayame, la mangaka nous rappelle le sourire bienveillant de celui-ci à l'égard de son petit frère, et nous le retrouvons ensuite au sommet de sa forme de pitre, sur la planche 28.

Sur la planche 29, Yuki et Machi sont complices, ils lient leurs mains, puis leurs regards, regards que l'on retrouve sur la planche 30 ; c'est ensemble qu'ils avanceront dans la vie désormais puisqu'ils ont su cheminer l'un vers l'autre. Yuki a trouvé en Machi la « douceur » et la « fragilité », et ces mots ne sont pas anodins ; en effet, seul un maudit possédé par le rat, animal violent et fort, est amené à chérir en l'autre ces qualités.

Puisque je parle de l'animalité, je voudrais attirer une nouvelle fois votre attention sur la nécessité d'intégrer l'animal, et non de le rejeter, pour avancer ; ce chapitre nous le montre encore de manière assez subtile, puisque Yuki se félicite d'avoir agi en garçon responsable, mais reconnaît que lorsque sa volonté a failli, l'animal néfaste prenant le dessus, ce sont les autres qui l'ont aidé.

Enfin, on peut voir aussi combien l'autre est important dans la décision à prendre, ce qui peut être aussi attachant que gênant ; en effet, Yuki a besoin des autres, de Manabe, de Tohru, de Machi, de Haru, d'Ayame, de Kyo pour dépasser ses ombres, et c'est là un besoin instinctif que de chercher en l'autre le réconfort. On retrouve ici la thématique de la meute qui protège et qui peut étouffer, tant on voudrait dire à Kyo et à Yuki de se faire un peu confiance en tant qu'hommes, et non en prenant appui sur les autres, ce que fait également Machi en remerciant Tohru de lui avoir révélé le « vrai » Yuki.
Mais on retrouve en même temps l'affirmation de l'humanité dans le conseil donné par l'autre, dans l'écoute... C'est tout le problème de la corbeille de fruits, le fruit doit murir par lui-même tout en étant protégé par le panier ; c'est un subtil équilibre de libération et de dépendance, d'envol et de lien, d'humanité et d'animalité dans ce qu'elle a de plus fœtal.

Je voudrais terminer sur le thème du cheminement, capital dans ce chapitre ; en effet, nous voyons le cheminement intérieur de Yuki qui correspond à son parcours dans la ville et je placerais ce cheminement en parallèle avec celui de Kyo dans les chapitres précédents ; dans le chapitre 120, Kyo était parti en courant et nous l'avions retrouvé, au début du chapitre 121, arrêté en plein élan, comme si sa course mentale ne pouvait plus s'éloigner de Tohru, et de fait il était revenu auprès d'elle dans le chapitre 122. De même à la fin du chapitre 123, nous avions vu Kyo marcher vers son destin, exactement comme le fait Yuki dans ce chapitre.

Ce chapitre donne donc des ailes à Yuki et place son destin dans le cœur de Machi ; comme il n'est plus seul, il ne sera plus jaloux, et le rat pourra faire silence. C'est un grand pas vers la libération annoncée dans le dernier tome, libération qui est désormais entre les mains de Kyo et d'Akki qui doivent se laisser aimer comme Yuki s'est laissé aimer.
En déliant le lien néfaste du rat, du chat et du dieu pour nouer des liens altruistes et amoureux, Yuki, Kyo et Akki libéreront les Soma d'une malédiction qui ne connaît rien à l'amour, ils les sauveront d'une fatalité qui coupe les ailes, à l'image de ce moineau libéré et pourtant privé de voler. « Trouver son autre aile », c'est rompre avec les attachements malades de la malédiction, c'est voler pour ne plus se heurter aux murs des traditions insensibles. Une aile fragile, voici ce qu'est l'autre, que l'autre soit l'ami ou l'être aimé...

Je vous remercie de m'avoir lue ; j'ai analysé ce chapitre plus rapidement que d'habitude, mais j'ai essayé de le faire en vous proposant de multiples pistes de lecture, pistes que je développerai dans mes prochaines analyses. Je voudrais encore une fois remercier Ichi qui, par ses précisions de fine traductrice et sa gentillesse, m'a donné les ailes nécessaires pour écrire cette analyse.


Sumi.